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Couvrir un stade sans se rétracter
par Bechara Helal, publié le 2014-04-30
Il faudra attendre 2019 pour que soit potentiellement réglé le problème récurrent du Stade olympique. Faudra-t-il installer une nouvelle toile flexible rétractable ou un toit rigide fixe ? Et si le stade restait sans toit ? Et s’il fallait démolir l’ensemble pour régler ce problème, pour certains, insoluble ? Alors que les ingénieurs débattent de ces questions devenues de véritables enjeux politiques, des architectes exploraient le problème constructif de la grande portée des stades sportifs dans le cadre d’un concours d’architecture.

Le concours en deux étapes organisé par la Ville de Montréal en 2011 vise la construction d’un complexe de soccer municipal dans l’arrondissement de Villeray/ Saint-Michel/Parc-Extension, au périmètre ouest du parc du Complexe environnemental de Saint-Michel (CESM). Le programme du projet de 12 700 m2 inclut deux terrains de soccer — l’un intérieur, l’autre extérieur — qui seront desservis par des espaces servants connexes (lobby, gradins, vestiaires, salle polyvalente, etc.). Des trente concurrents ayant présenté des propositions lors de la première étape — anonyme — du concours, le jury a retenu quatre équipes pour une seconde étape : Saucier + Perrotte/ Hughes Condon Marler Architectes, Éric Pelletier/GLCRM, Côté Leahy Cardas/Provencher Roy Associés Architectes, et Affleck de la Riva Architectes/Cannon Design.

Le programme du concours identifie trois grands « défis » auxquels le futur stade devra répondre : la « facture architecturale » (volumétrie, traitements des longues parois, relation à la rue et au site), le « défi structural des portées sans obstacle de l’aire de jeu » et enfin les « principes d’une architecture verte à caractère sportif qui s’intègre au parc du CESM » (la norme LEED-NC Or est utilisée comme mesure de développement durable). Cet éditorial se penche sur la façon dont ces défis ont été abordés par les compétiteurs tout en considérant en particulier la figure architecturale du toit.

Dans un premier temps, considérons le défi de la « facture architecturale ». Le programme du concours va au-delà du problème de composition architecturale en exprimant clairement une « volonté identitaire » : le bâtiment devra absolument présenter une « image forte ». Ces termes se retrouvent dans les commentaires du jury sur chacune des propositions du second tour. Une analyse volumétrique des trente propositions du premier tour montre que l’ensemble des projets peut être séparé en deux grandes catégories selon leur schéma formel général, soit les bâtiments de type « volume » et les bâtiments de type « toit ». Les premiers seraient les projets qui apparaissent comme des éléments monolithiques abritant l’ensemble des fonctions intérieures alors que les seconds seraient ceux qui surplombent ces fonctions sans nécessairement les contenir. Certains projets semblent se situer à la jonction de ces deux catégories : c’est le cas par exemple des projets de l’Atelier Pierre Thibault et de Martin Marcotte/Bienhaker qui peuvent être vus comme des bâtiments de type « toit » se repliant sur eux même pour devenir des bâtiments de type « volume ». L’expression des bâtiments de type « toit » varie largement. Ainsi, certains peuvent être identifiés par l’expression formelle forte de leur partie supérieure : c’est le cas des surfaces non-planes dans les projets de Cardin Ramirez Julien et de Thibodeau Architecture + Design. Dans d’autres projets, le toit ne se limite pas une simple surface, mais, par son épaisseur, devient un volume flottant qui intègre des fonctions : c’est le cas des projets de Labonté Marcil/ Bourgeois Lechasseur ou encore de Ruccolo + Faubert Architectes. Dans l’ensemble, il est intéressant de noter qu’il y a un nombre équivalent de projets de chacun de ces types, tant au premier qu’au second tour. Ainsi, si le projet de Éric Pelletier/GLCRM et celui de Côté Leahy Cardas/ Provencher Roy Associés Architectes sont des bâtiments de type « volume », la proposition de Saucier + Perrotte/ Hughes Condon Marler Architectes et celle de Affleck de la Riva Architectes/Cannon Design sont clairement des bâtiments de type « toit ». On notera que les commentaires du jury montrent clairement un penchant pour cette dernière catégorie. Ainsi, le toit est immédiatement vu comme « une image forte » (commentaire pour Affleck de la Riva Architectes/Cannon Design) « à l’identité simple et forte » (commentaire pour Saucier + Perrotte/Hughes Condon Marler Architectes). Au contraire, le jury qualifie l’un des volumes monolithiques de projet « dont l’identité manque de caractère » (commentaire pour Éric Pelletier/GLCRM) et se questionne sur la lecture de l’autre : « ce concept est ambigu au plan volumétrique quant aux principes directeurs qui ont généré cette forme ; est-ce une coquille ou une boîte avec quatre faces différentes et un toit ? » (commentaire pour Côté Leahy Cardas/Provencher Roy Associés Architectes.) On le voit, le bâtiment de type « toit » apparaît clairement comme une réponse plus adaptée à la question de la « facture architecturale », et ceci indépendamment de la qualité de la résolution architecturale des projets.

La notion de toit est bien entendu directement liée au « défi structural de la portée sans obstacle de l’aire de jeu » souligné par le programme du concours. Comment architecturer un toit permettant d’enjamber un terrain de soccer? Les bâtiments de type « volume » et ceux de type « toit » proposent des solutions bien différentes. Comme le montrent les coupes sur les planches de présentation, le toit surplombant l’aire de jeu semble être vu chez les premiers davantage comme un problème technique : le projet de Côté Leahy Cardas/Provencher Roy Associés Architectes détaille une composition constructive complexe, alors que celui de Éric Pelletier/GLCRM le considère comme un simple toit de grande portée sans le développer outre mesure dans les documents de présentation. Au contraire, dans les bâtiments de « toit », le toit est développé de façon plus expressive, à l’image d’une cinquième façade, mais intérieure. Tant Affleck de la Riva Architectes/Cannon Design que Saucier + Perrotte/Hughes Condon Marler Architectes vont pousser cette opération de composition architecturale jusqu’à présenter des plans du toit/plafond réfléchi. Pour les premiers, le plan de plafond réfléchi s’apparente presque à une toile d’art graphique abstrait, alors que, pour les seconds, il s’agit d’exprimer à la fois la complexité et l’esthétique du concept structural laissé apparent dans le projet.

Considérons enfin, dans un troisième temps, la notion « d’architecture verte » mentionnée au programme. De nombreux jurys de concours attribuent une importance qui peut paraître démesurée à la norme LEED-NC. Or ce n’est pas le cas ici : LEED-NC est à peine, voire pas du tout, mentionnée dans les commentaires du jury. En réalité, la notion « d’architecture verte » n’est pas tant vue par le jury comme une matérialisation d’exigences techniques que comme une intégration du bâtiment dans le contexte existant du parc du CESM. Ici encore, les bâtiments de type « toit » prennent l’avantage : perçus comme beaucoup plus horizontaux, ils semblent être en flottement au-dessus du sol sans entrer en conflit avec le parc. Mieux encore, la proposition de Saucier + Perrotte/Hughes Condon Marler Architectes présente une intention forte de lier de façon fluide le toit flottant et le sol : les documents de présentation montrent que le toit n’est pas simplement un plan flottant, mais qu’il est le résultat d’un décollement d’une strate du sol lui-même suite à une opération de pliage.

« Un pavillon dans le parc, à l’identité architecturale simple et forte » : c’est ainsi que le jury qualifie le projet de l’équipe de Saucier + Perrotte/Hughes Condon Marler Architectes, lauréat du concours. Qualifier un projet de 12 700 m2 de « pavillon » peut paraître étonnant, mais cette description souligne la lecture qu’on peut faire d’un bâtiment qui, au final, se résume à la figure à la fois simple, légère et solide de son toit. Si, dans le cas du Stade olympique, le toit est vu aujourd’hui comme l’élément problématique qui matérialise la crise voire la ruine d’une architecture radicale, il faut plutôt le voir dans le cas du futur Stade de soccer du CESM comme la colonne vertébrale d’une architecture à la fois aventureuse et intégrée.

Au final, nous voudrions souligner deux aspects relativement inusités des conclusions du jury du concours. D’une part, comme ce fut le cas pour le Complexe sportif Saint-Laurent en 2010 et tel que le mentionne Jean-Pierre Chupin dans son éditorial sur ce concours (novembre 2012), le jury a décidé, tout en proposant une équipe lauréate, de rendre publique une liste de recommandations qu’il considère « essentielles au développement de [son] esquisse ». Cette double opération hautement inhabituelle permet au jury d’assumer de façon plus complète son rôle d’intervenant dans le processus de conception qu’est le concours d’architecture. D’autre part, en plus de nommer un lauréat, le jury a recommandé de décerner une mention spéciale à un autre projet, celui de Éric Pelletier/ GLCRM. Ceci a le mérite de reconnaître une qualité aux idées architecturales d’un projet non primé. L’histoire des concours d’architecture est riche de projets non lauréats qui méritent néanmoins une telle sorte de reconnaissance, que ce soit pour la qualité de la solution particulière qu’ils apportent ou, mieux, pour l’importance des questions disciplinaires qu’ils soulèvent. Le fait que le rapport du jury se clôt sur ces conclusions inhabituelles rappelle que le concours d’architecture ne doit pas être vu seulement comme une opération de sélection d’une solution à un problème donné. Il peut également être un processus de construction collectif.
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