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Un pas en avant, deux pas en arrière.
par Camille Crossman, publié le 2012-12-01
Les controverses qui entourent parfois les concours nous feraient presque oublier qu’ils sont aussi l’occasion d’examiner la problématique particulière du jugement architectural qui concerne aussi bien l’écologie, l’innovation que le patrimoine. Bien que le concours soit probablement la forme d’octroi de contrat d’architecture la plus démocratique, les processus de jugement et d’évaluation restent trop souvent hermétiques, voire incompréhensibles. En 2010, les organisateurs du concours pour le nouveau Centre Culturel de Notre-Dame-de-Grâce (NDG, Montréal) ont choisi de faire preuve d’audace en ouvrant une des étapes du jugement au public.

Le Centre culturel de NDG s’inscrit dans la lancée d’une série de concours de bibliothèques (Nouvelle Bibliothèque de Saint-Hubert, 2008; Nouvelle Bibliothèque de St- Laurent, 2009 ; Bibliothèque Marc-Favreau, 2009 ; Nouvelle Bibliothèque de St-Eustache, 2010 ; Agrandissement de la Bibliothèque Saul-Bellow, 2011). Comme l’actuelle bibliothèque de Notre-Dame-de-Grâce partage ses espaces avec la maison de la culture de l’arrondissement, le concours proposait un programme mixte : les projets devaient intégrer une bibliothèque ainsi qu’une salle de spectacle pouvant recevoir une troupe de danse en résidence.

Dans une volonté de témoigner de la transparence du processus de concours et du désir de sensibiliser les résidents de l’arrondissement aux questions architecturales, Design Montréal et les organisateurs du concours ont tenu, pour la première fois au Québec, une séance de présentation des projets finalistes ouverte au public. Cette phase de la procédure est la dernière étape avant la délibération du jury à huit clos. Les architectes sont invités à présenter leur projet devant l’ensemble des membres du jury. Après avoir disposé de quelques jours pour se familiariser avec les planches et les textes des projets concurrents, cet échange permet aux jurés d’approfondir leur compréhension du projet, de poser des questions et de jauger l’architecte ou l’équipe avec laquelle le maître d’ouvrage devra travailler. Bien que le public, qui ne disposait d’aucun droit de parole et encore moins de droit de vote, n’ait pas directement participé à la construction du jugement architectural, il est difficile de dire si la présence inédite de l’auditoire a eu un impact sur la conduite du processus de présentation, le discours des architectes ou encore le regard critique des membres du jury.

Il est tout aussi difficile de prévoir comment le public reçoit ce type d’initiative. Malgré le nombre peu élevé d’auditeurs (50 à 60) lors de cette première expérience, mentionnons que les présentations publiques des concours d’aménage- ment urbains organisés ultérieurement pour « Namur Jean- Talon Ouest » (2011) et la « Promenade Smith » (2011) ont attiré un nombre grandissant de spectateurs (de 100 à 150 personnes). Ce qui témoigne clairement de l’intérêt de la population au devenir architectural et urbain de leur quartier et de leur ville.

S’il importe de saluer l’initiative visant à ouvrir au public une des étapes cruciales du jugement, certains aspects envoient un message contradictoire quant à la volonté de transparence des concours. D’une part, le concours a été tenu en une étape, les finalistes ayant été sélectionnés sur dossier. Cette pratique, qui oblige en quelque sorte les architectes à s’acquitter d’un droit d’entrée est-elle réellement démocratique ? D’autre part, et plus de 2 ans après la tenue du jugement, le rapport du jury n’ayant toujours pas été publié, force est de questionner la réelle détermination des organisateurs à rendre le processus de jugement plus transparent. Rappelons que le guide des concours de l’OAQ spécifie clairement qu’«après le lancement du concours, le conseiller professionnel doit [...] transmettre à l’OAQ le dossier du concours incluant notamment [...] le rapport du jury, avec la confirmation écrite de l’acceptation de ce rapport par chacun des membres du jury ».

En ce qui concerne les projets, soulignons que les quatre équipes se démarquent les unes des autres par l’approfondissement d’un thème en particulier. Le projet de Chevalier Morales architectes, en consortium avec Busby Perkins + Will développe le thème de la communauté en relation avec la nature publique du programme. Le projet des architectes FABG, se déploie autour du thème de la mémoire, en lien avec l’histoire du quartier Benny Farm, construit pour les anciens vétérans. L’approche de Menkès Shooner Dagenais Letourneux Architectes, s’articule autour du thème de la médiation entre contexte architectural existant et la modernité du projet. Mais au final, c’est pour le thème de la convivialité, en relation avec la nature communautaire du projet tel que proposé par l’Atelier Big City en consortium avec Fichten Soiferman et associés et L’OEUF, que les membres du jury ont opté.

La lecture du texte et des planches du projet de Big City est en effet éloquente : chacun des gestes architecturaux proposés a été soigneusement conçu pour que le lieu, les espaces et l’architecture elle-même convoquent les futurs usagers à se réunir et à s’approprier ce nouveau centre culturel. Une des manifestations les plus flagrantes de ces idées réside probablement dans cet escalier extérieur, placé en pleine façade, là où s’arrête l’autobus. Malgré les divergences d’opinion qu’il suscite, ce geste ne devrait pas être uniquement jugé du seul point de vue esthétique, car il relève d’abord d’une volonté sociale : affirmer le caractère public du bâtiment en invitant les passants à s’assoir sur les marches, à s’y donner rendez-vous, etc. En plus d’abriter des espaces et des fonctions, le projet lauréat se transforme dès lors en un objet habitable.

Ces principes de conception se développent dans l’en- semble de la proposition : que ce soit à l’entrée, où la limite entre l’intérieur et l’extérieur de la bibliothèque est brouillée par un espace couvert d’une surface ajourée (et qui accueillera la terrasse du café en été) ; à l’intérieur, où les sections réservées aux enfants, aux ados et aux adultes permettent des liens visuels tout en bénéficiant chacune d’un traitement distinct ; ou encore par la présence de cette grande estrade centrale (aussi escalier principal) où l’on peut lire seul, mais jamais solitaire, etc. De façon plus littérale, les architectes ont aussi imaginé, à l’arrière, un jardin comestible où pousseront, pommier, poirier, prunier, etc.

Mentionnons, pour conclure, que cette bibliothèque, dont la réalisation est prévue pour 2014, est la première que construira l’Atelier Big City, après avoir participé, entre autres, aux concours des bibliothèques d’Alexandrie (1989), d’Outremont (1995), de Châteauguay (2002), de Charlesbourg (2003) et de Félix-Leclerc (2007). Cette reconnaissance du jury est d’autant plus importante que les concours en une étape, où la sélection des finalistes se fait sur dossier, reposent en général sur un critère de sélection qui se rapporte à l’expérience de la firme dans la conception et la réalisation de la typologie architecturale en jeu. Dès lors, c’est peut-être un pas en avant et deux pas en arrière pour le concours du Centre culturel de Notre-Dame-de-Grâce, mais c’est une double victoire pour les lauréats.

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