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L’expression délicate d’une culture composite
par Simon Bélisle, publié le 2016-06-23
Le concours du Centre culturel chinois à Vancouver en1978, outre la réponse aux aspects fonctionnels, appelait une interrogation sur la place accordée à la tradition parla communauté représentée. Bien que cet aspect n’ait pas prédominé dans les commentaires du jury, les propositions se sont effectivement nourries d’une certaine idée de la tradition architecturale chinoise et de sa rencontre avec ce contexte canadien spécifique. Ce concours, aussi original que rare, est à mettre en perspective des tournantes années 1980, près de 20 ans avant la date butoir de la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, qui aura l’importantes répercussions démographiques et culturelles pour Vancouver.

En 1978, la communauté chinoise de Vancouver est déjà importante, établie depuis plusieurs décennies, mais ne dispose toujours pas de centre culturel. L’emplacement et le programme du futur centre furent établis dans les exigences du concours en concertation avec des mécènes chinois, tandis que le concours appelait des concepts généraux plutôt que des projets détaillés. Tirant profit d’un terrain significatif de Chinatown, les propositions devaient inclure un jardin chinois, des espaces extérieurs en partie couverts pouvant accueillir foules, bazars, performances festivalières, ainsi que des locaux adaptables liés à dysfonctions éducatives et des espaces d’expositions pour un musée fonctionnant autant en intérieur, qu’en extérieur. Un volet, incluant salle de thé, restaurant et boutique cadeau, se donnait pour objectif d’améliorer la viabilité commerciale des rues bordant le centre. Restreint aux architectes enregistrés en Colombie-Britannique, le concours attira une quarantaine de firmes. Les archives faisant défaut, seules les quatre propositions soulignées par le jury sont répertoriées dans le Catalogue des Concours Canadiens: trois premiers prix et la mention d’honneur.

Bien que le jury n’ait pas complètement gommé les aspects culturels et traditionnels, ses commentaires se sont officiellement concentrés sur des considérations pratiques, programmatiques et contextuelles. Le programme du concours appelait pourtant à concevoir une entrée symbolique pouvant « être imaginée comme un point focal[ou] une colonne vertébrale liant les espaces ». Les quatre propositions retenues ont toutes accordé une large importance à la tradition architecturale chinoise comme le souligne ont deux articles de la revue Canadian Architect en 1978.Avec quelques décennies de recul, on ne peut que constater le caractère typiquement postmoderne des concepts :la mention honorable confrontant des principes de l’architecture traditionnelle chinoise à un nouveau contexte urbain, les deuxième et troisième prix tentant de marier cette tradition à la culture occidentale moderne, tandis que le lauréat s’inspirait d’exemples historiques chinois marquants, tout en réinterprétant ses principes de base.

Recevant une mention honorable, la proposition de JoeWai/Beinhaker Irwin Associates fut remarquée par le jurypour sa capacité à « incorporer les principes de base de l’architecture chinoise tout en étant consciente et respectueuse du contexte urbain voué à accueillir le projet ».Du côté de la tradition, un design respectant certains« principes fondamentaux » ainsi qu’une reprise de formes et de matériaux classiques. Du côté du contexte urbain, un fort engagement voué aux activités des rues avoisinantes, démontré par les différents dessins en perspective. Si la proposition pouvait laisser place à la discussion, le questionnement soulevé, mettant en tension tradition et contexte urbain, restait pertinent. Le jury se contenta de souligner une bonne utilisation des potentiels du site, tout en relevant quelques problèmes de cohérence et des espaces faiblement ordonnés.

Obtenant le troisième prix, la proposition de Russel A. Vandiver/Che-Cheung Poon faisait aussi ressortir un questionnement sur une tension, en la déplaçant vers un rapport entre tradition et modernité. Se démarquant par l’utilisation d’un monument unique plutôt qu’une disposition pavillonnaire, les architectes proposaient un bâtiment« traditionnel dans sa composition [mais] utilisant des techniques modernes de construction ». Loin d’être camouflées derrière une expression classique, ces techniques étaient mises en valeur : si « les temples anciens [avaient été évoqués pour expliquer] une structure simple et exposée », la structure exposée était une charpente ouverte en acier en un mariage postmoderne entre tradition et technologie. Le jury s’est montré sensible au potentiel symbolique d’un élément singulier dominant, mais a exprimé quelques réserves au niveau du contexte, jugeant qu’un élément aussi volumineux serait problématique pour le tissu urbain et l’aménagement du site. Soulignant qu’un tel bâtiment serait moins efficace pour le volet commercial exigé par les mécènes.

Gratifiée du deuxième prix, la proposition de Downs Archambault Architects + planners fut décrite comme« tentant de marier la pensée orientale aux besoins occidentaux». Si cette tension était exprimée de manière plus fine, la réponse ressemble au projet précédent en ce qu’elle proposait de considérer les principes de design orientaux traditionnels tout en construisant avec une technologie et des matériaux modernes. L’approche était toutefois pavillonnaire, la technologie et les matériaux modernes semblaient davantage envisagés dans un sens pratique qu’expressifs, et les dessins, en plus d’exprimer une architecture s’inspirant des règles de composition de l’architecture chinoise, montrent quelques inspirations formelles, typologiques et esthétiques dépassant les principes classiques. Il reste que cette proposition provoqua un débat plus vif sur la question de la tradition et de son utilisation d’éléments traditionnels de l’architecture chinoise.

La proposition de James K. M. Cheng/Romses Kwan & Associates fut lauréate et fut finalement construite. Les architectes disaient s’être inspiré de la Cité interdite(Palais Impérial de Pékin) en reprenant son approche axiale nord-sud tout en réinterprétant la progression des espaces : l’entrée principale du centre culturel, situé sur Pender Street, était analogue à la première impression du Palais Imperial, une cour d’entrée devenant la première pause, une entrée intérieure la première transition, une avant-cour la première introduction, un hall central la seconde étape, un jardin principal la seconde pause, un pavillon arrière la seconde transition et un parc, envisagé à l’arrière du centre culturel, la troisième expérience. Finalement, la baie de False Creek, bordant le futur parc, était présentée comme analogue à l’expérience ultime du Palais Imperial. Un autre schéma montrait une seconde analogie entre la disposition proposée et celle d’une maison pékinoise traditionnelle : des cours intérieures entourées de bâtiments, un accent placé sur la géométrie et la centralité sans oublier une orientation nord-sud. Le jury précisa avoir sélectionné la proposition en vertu de subtilités la distinguant de toutes les autres, la plupart faisant appel à des considérations contextuelles et fonctionnelles, mais aussi à la qualité de l’expérience architecturale.

Dans son rapport final, le jury admit « avoir trouvé difficile de définir des déterminants spirituels et esthétiques dans le design architectural [des propositions] », ajoutant « ne pas avoir ressenti qu’une forme architecturale particulière vue comme étant généralement orientale était désirable ou nécessaire ». Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, les commentaires du jury, à tout le moins dans leur version publique, se sont concentrés sur les considérations pratiques, contextuelles et programmatiques. Il est possible que cette tendance reflétât une volonté de se détacher d’analogies esthétiques ou formelles trop évidentes, ou qu’un poids décisionnel important issu du programme bien défini par les sponsors ait délicatement éclipsé tout débat ouvert sur la tradition.

Quoi qu’il en soit, la problématique de l’interprétation contemporaine de la tradition architecturale chinoise occupa une place importante dans les projets retenus par un jury, s’exprimant le plus souvent autrement que parla forme ou l’esthétique. À cela s’ajoutait la spécificité d’un des rares concours voulant offrir un centre culturel à une communauté reflétant elle-même une rencontre typiquement postmoderne entre une tradition ancestrale chinoise et la ville de Vancouver comme lieu de vie. Quatre décennies plus tard, nous y décelons l’expression délicate d’une culture architecturale composite.

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