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S’il vous plaît, dessine-moi un concours d’école primaire (à propos des 5 concours organisés au Québec par le LAB-École en 2019-2020)
par Jean-Pierre Chupin, publié le 2020-08-23
En 2020, à en juger par le nombre de concours organisés au Québec depuis deux décennies et par le nombre d’édifices primés, il est plus facile de trouver une excellente bibliothèque, qu’une école primaire digne de ce nom. Cette série de 5 concours – ouverts et en deux phases – organisés par l’organisme LAB-École affrontait dès lors deux convictions contradictoires : la certitude que les lieux de scolarisation forgent et modèlent ce que nous sommes depuis la petite enfance et cette conviction, répandue parmi les décideurs publics, que l’on pourrait au fond étudier et enseigner n’importe où. Particulièrement bien organisés par le LAB-École, ces concours montrent au contraire que l’architecture n’est pas un luxe, mais une nécessité. Pour des contextes aussi différents que Saguenay, Maskinongé, Rimouski, Gatineau et Shefford, les propositions se révèlent riches en réflexions démontrant que la question de l’école primaire reste complexe et ne saurait être circonscrite dans des modèles à répéter – en bleu, en bois ou en aluminium – quel que soient les contextes.

La situation des écoles primaires au Québec s’est détériorée au point de constituer le nouvel enjeu national. De nombreuses études sur l’architecture scolaire montrent l’extraordinaire attachement aux espaces et aux lieux qui ont accompagné, parfois protégé, et souvent construit nos enfances. La vieille école serait toujours la plus belle, le modèle qu’il faudrait imposer à nos enfants, au point que de multiples réformes pédagogiques se sont heurtées à ce simple principe d’attachement aux valeurs du passé. En dépit des velléités politiques ou des bonnes intentions architecturales, n’impose pas qui veut de nouvelles structures pédagogiques, encore moins de nouvelles formes, à l’architecture de l’éducation. D’autant que l’espace de la première scolarisation se déploie aujourd’hui autant dans les registres physiques que virtuels. Nombreux sont d’ailleurs les tenants d’une révolution pédagogique essentiellement axée sur l’augmentation technologique de l’espace éducatif qui espèrent ainsi contourner l’obstacle de la qualité architecturale.

Comparativement aux pratiques en vigueur dans de nombreux pays, le Canada organise très peu de concours pour les lieux d’éducation. Sur les 451 concours organisés au pays depuis 1858, à peine 8% concernent des programmes liés à l’éducation, essentiellement au niveau universitaire, et moins de 2% pour des écoles primaires. Si l’on met de côté le concours de recherche-création organisé par le LEAP en 2019 (voir CCC, « Entre l’école et la ville ») et, bien entendu, les 5 concours du LAB-École, il ne reste guère que le remarquable cas historique du « concours provincial d’architecture pour les écoles primaires » organisé par le gouvernement du Québec en 1964 (NB. Également documenté dans le CCC). Il existe un autre concours organisé à Vancouver en 1970, mais nous disposons de trop peu de données pour l’évaluer. Il n’y eut par la suite que de rares concours essentiellement universitaires dans les années 1970 et il fallut attendre les années 1990 pour que le parc immobilier vieillissant impose de nouvelles consultations et réflexions. Celles-ci seront fortement encouragées par les nombreuses études, souvent de nature sociologique, conduites dans les contextes suisses, français et scandinaves. Elles n’auront pas d’influence notable sur la mise en place de concours au Canada en dépit du fait qu’à la fin des années 80, un modeste programme fédéral ait donné lieu à un processus novateur de conception d’écoles en Colombie-Britannique, grâce à l’architecte Marie-Odile Marceau, alors architecte régional pour le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord.

Mais, de façon caractéristique, et contrairement au recours systématique au concours pour les édifices scolaires dans tous les pays d’Europe, on peut s’étonner légitimement du fait que les écoles n’aient pas été considérées comme des questions architecturales essentielles en Amérique du Nord. Par comparaison, il se trouve peu d’écoles primaires ou secondaires et parfois maternelles qui ne soient passées par l’épreuve du concours dans des pays comme la France, la Suisse, l’Allemagne et tous les pays nordiques que l’on cite aujourd’hui en exemple dans toutes les discussions, dans tous les articles et dans les nouveaux programmes de concours au Québec, incluant les cinq concours du LAB-École organisés en 2019.

On rétorquera que la procédure du concours n’est pas la seule façon d’assurer la qualité architecturale. Sans doute, mais l’examen du nombre de projets primés dans le domaine de l’architecture scolaire est tout aussi désolant. Les statistiques, tant au Québec qu’au Canada, confirment la méfiance des autorités éducatives dans la recherche de l’excellence ou de l’innovation. Sur une période de quatre décennies, moins d’une trentaine d’écoles primaires et secondaires canadiennes ont été primées sur un ensemble de plusieurs milliers de réalisations ayant reçu un prix d’excellence. Au Québec, les projets récompensés se comptent sur les doigts d’une main : l’école primaire Baril (2019), le collège Saint-Louis (2015), l’école primaire Barclay (2014), l’école primaire de la Grande-Hermine (2009) et l’école secondaire Nikanik (1998).

Si l’on en juge par le silence des autorités publiques québécoises depuis le concours de 1964, il y a de quoi craindre qu’un renouveau de la normalisation – fût-il centré sur la chaleur du bois, la couleur du ciel et la belle froideur industrielle de l’aluminium – ne soit qu’une répétition des erreurs du passé. La timidité des politiques publiques à l’égard de la qualité architecturale des édifices scolaires signifie aussi que les concepteurs – comme les chercheurs – doivent mieux fonder leurs arguments et leurs données lorsqu’il s’agit d’expliquer que la qualité architecturale contribue à déterminer les conditions d’apprentissage, voire à soutenir la réussite scolaire.

C’est dans ce contexte qu’il faut découvrir la richesse foisonnante des projets soumis aux différents concours organisés par le LAB-École. Si l’on met parfois l’accent sur les 20 finalistes répartis en 5 sites, on ne doit surtout pas oublier les 140 autres propositions conçues en première phase de cette rare série de concours ouverts. Ce n’est pas le moindre mérite de l’organisation LAB-École, sous l’impulsion de l’architecte Pierre Thibault et du conseiller professionnel Nicolas Marier, que d’avoir insisté pour que ces concours soient ouverts à tous les architectes de la province. On doit également souligner que l’organisme LAB-École ne s’est pas contenté d’organiser des concours, mais qu’il a revisité les programmes architecturaux des écoles primaires au Québec en utilisant au mieux la contrainte des superficies allouées ou en redéfinissant les espaces scolaires. Enfin, chaque programme de concours a fait l’objet de concertations avec des représentants des milieux concernés, tandis que les jurys incluaient certains de ces acteurs locaux. Il ne s’agit donc pas d’une vision centralisatrice de l’école, mais bien d’un engagement au cas par cas.

Certes, la meilleure architecture ne pourra se substituer aux moyens consacrés à la pédagogie. On ne peut séparer la qualité des lieux de scolarisation de celle des encadrements pédagogiques. Il reste que la meilleure des enseignantes et le meilleur des professeurs ne peuvent enseigner de la même façon n’importe où, y compris, et peut être surtout, par écrans interposés. Bien des pays dits civilisés organisent systématiquement des concours pour les écoles, pour chacune des écoles. Pourquoi devrait-il en être autrement au Québec?

Jean-Pierre Chupin
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